L’intervention dans l’existant, banal, patrimonial, classé, appelle de la part de l’architecte un grand discernement, une attention au contexte, une modestie du fait de la temporalité du bâti qui dépasse la sienne.
De toutes époques, les bâtiments ont fait l’objet d’ajouts, transformations, surélévations, etc… Bien souvent, à l’aube du moment présent et hors le regard éclairé de certains professionnels, nous interprétons l’ensemble comme un tout cohérent. Le sens de l’ouvrage ayant acquis, dans notre regard, avec le passage du temps, une unité qu’il n’avait peut-être pas à l’époque de son édification.
Le sens global du bâti existant doit être préservé quelle que soit la nature de l’intervention, cela signifie qu’une forme de hiérarchie doit être établie avec ce dernier. Garder le sens, ne pas le détourner est une obligation morale de l’architecte ; à l’instar de Bernard Desmoulin, je dirais que la modernité est aussi une obligation morale de l’architecte.
Bien sûr, lorsque l’on met en œuvre une forme de modernité, c’est celle du moment. Cette modernité du présent conditionne aussi le regard que l’on porte au patrimoine. Il faut donc être très prudent avec ce regard. Ce regard n’est pas neutre, il est celui de notre époque avec sa grille de lecture.
Il me paraît sage d’articuler sa réflexion en deux parties : d’une part un travail de recherche, d’histoire, pour comprendre la logique conceptuelle originelle dans son contexte, d’autre part, saisir l’apport potentiel de la modernité qui devra jouer comme un révélateur de l’ensemble de l’œuvre bâtie.
Cette approche, demande une forme d’altruisme, de distance, pour préserver le sens général mais n’exclut en aucune manière une composition architecturale créative.
Dans le cas du Lycée Roosevelt à Reims, sa transformation, son adaptation aux conditions pédagogiques et de vie scolaire du moment ont nécessité un travail délicat. Patrimoine du XXe siècle, ce lycée a été édifié à la reconstruction de la ville, après les destructions de la guerre 14-18.
Ensemble en brique, il reprend les archétypes du genre et s’articule autour d’une cour carrée à galeries et alignement de marronniers. On peut considérer qu’il s’agit d’un patrimoine banal d’équipements publics mais une banalité rigoureuse, presque austère, comme il se doit dans l’enseignement des matières techniques puisque telle était sa vocation.
Cet ensemble bâti va connaître son heure de gloire au cours de la deuxième guerre mondiale.
Un bref retour historique : commandant les forces alliées déployées en Europe, le général Eisenhower fit de l’établissement, réquisitionné à l’été 1944, son quartier général en octobre de la même année. C’est ainsi que dans ses murs fut signé l’acte de reddition de l’armée allemande, le 7 mai 1945, suivi, deux jours plus tard à Berlin, d’une seconde signature imposée par Staline sur le front de l’Est.
Implanté derrière la gare, au départ de l’avenue de Laon, l’établissement, construit par l’architecte rémois Hippolyte Poitevin sous l’intitulé d’École pratique du commerce et de l’industrie, se prêtait magistralement à ce rôle de premier plan par sa localisation et sa configuration. L’ensemble constitue une véritable place forte aux murailles de brique chaînées de béton et aux accès rares et contrôlés, notamment par un porche de plein cintre retourné en pignon dans l’axe de la composition. Sise dans un angle du quadrilatère, la salle historique (war-room), soustraite au fonctionnement du lycée, pavoise sur la rue en toute indépendance pour une commémoration publique permanente comme l’évoque François Lamarre.
L’objet de la restructuration est d’adapter le bâtiment à la pédagogie actuelle, mais aussi d’introduire des équipements manquants et difficilement constructibles dans la volumétrie existante : médiathèque, vie scolaire, amphithéâtre, centre d’examens, etc…
Les difficultés de l’exercice tiennent autant à l’existant qu’à son environnement immédiat : un site urbain dense, aucune disponibilité foncière en vue, une forme fermée et une architecture contraignante, sans oublier les deux mille deux cents élèves présents sur place. À ce double défi, architectural et logistique, nous avons répondu par une stratégie d’interventions ponctuelles et phasées, afin de préserver le patrimoine autant que le bien-être des occupants.
Une concertation mise en place, dès la conception jusqu’aux travaux, avec l’administration du lycée et son proviseur, de même qu’avec le corps enseignant (deux cent cinquante personnes), pour informer sur toutes les étapes du chantier de manière à favoriser l’adhésion au projet et l’appropriation des nouveaux espaces créés. À la fois cour de récréation et terrain de sport, cette aire centrale, d’une superficie de 7 700 m², fonctionne depuis toujours comme une agora à la croisée des chemins. Tous les flux y convergent, raccordés à la galerie qui ceinture en balcon le premier étage des bâtiments et forme préau en dessous ; nous avons respecté l’intégrité et démultiplié la fonctionnalité.
Totalisant 6 000 m² de construction, le programme neuf y prend place sous la forme de trois volumes distincts, implantés aux endroits de la cour dépourvus d’arbres et greffés sur la galerie du bâti existant. Chacun identifie une fonction nouvelle : la médiathèque (CDI) et sa mezzanine surmontée d’un étage de salles informatiques ; l’amphithéâtre de deux cent cinquante, places associé à la salle polyvalente ; le préau, coiffé des laboratoires d’électricité et d’optique. Les deux hauts volumes de la médiathèque et de l’amphithéâtre s’articulent autour d’un patio creusé sur une partie de la cour afin de tenir sous la toise de la galerie périmétrique. La perception de la cour centrale est ainsi préservée, son cadre de brique rehaussé d’un étage après la guerre régnant à l’identique et son dessin enrichi de blocs prismatiques.
Accessoirement, un quatrième volume neuf est implanté dans la cour voisine en triangle pour loger des bureaux et des locaux de service. La simplicité volumétrique de ces greffes s’assortit d’une construction rationnelle qui s’accorde à la rigueur des bâtiments existants. Les matériaux mis en œuvre en nombre restreint soudent l’unité de ces extensions disposées en regard, accentuant le caractère panoptique de la composition d’origine. Les murs porteurs sont des voiles plans ou courbes de béton armé brut de décoffrage.
Des panneaux pivotants de bois clair assurent l’occultation de l’amphithéâtre dont l’espace scénique communique avec le patio extérieur. Des écrans de tôle ajourée et laquée parent les étages en guise de brise-soleil ou de frontons ornementaux. Par leur motif inspiré du feuillage et leur couleur vert-de-gris, ces tableaux métalliques composent l’idée d’un rideau végétal en continuité visuelle de la frondaison des marronniers cadrant la cour. L’intrusion de ces volumes greffés enrichit la composition et agrémente l’espace de la cour sans en dénaturer l’austère architecture, pensons-nous.
Le travail de l’agence me semble conforme aux principes évoqués au préalable : préserver l’esprit du lieu, ses caractéristiques fondamentales, se glisser dans ce cadre sans geste autoritaire mais avec le sentiment de participer à un ensemble qui, par son échelle temporelle, nous dépasse.